Aujourd’hui je tenais à me confier et m’exprimer sur un sujet qui me hante depuis 2 ans maintenant. Très peu de gens autour de moi savent que je souffre d’un trouble psychologique profond et c’est sur ce bogle que je vais faire mon coming-out. Loin de moi l’idée d’un affichage vulgaire et d’un racolage impudique. Au contraire, ce bogle n’est pas une thérapie, mais définitivement un outil de communication extraordinaire et une source infinie de perte de temps. Si je vous livre ce secret que je garde enfoui dans mon subconscient depuis tout ce temps, c’est uniquement dans un but informatif et aussi pour recevoir d’éventuels conseils, avis et même qui sait, un témoignage similaire d’une autre personne atteinte de ce même syndrome extrêmement rare.
J’ai réalisé, depuis que j’en souffre, que cette grave maladie mentale est en effet très peu répandue. Je n’ai même jamais eu l’occasion de rencontrer une autre personne présentant les mêmes symptômes. Cette affection est si insolite qu’elle n’a, à ma connaissance, jamais été proprement nommée, et c’est pourquoi je l’ai baptisé l’Homocuistoenkiltophobie : la peur des chefs cuisiniers homosexuels écossais.
Bien entendu, ce n’est pas une maladie issue d’un trouble hormonale ou génétique, ni même un dérivé d’une quelconque homophobie inavouée ou d’un racisme latent. Cette peur incontrôlée est un désordre psychique provoquée par un traumatisme mental violent.
Tout a commencé un soir de janvier. A l’époque je travaillais comme serveur au City Grill, un restaurant écossais perdu dans les brumes éternelles d’Edimbourg et qui glissaient comme chaque nuit dans les allées étroites de la Old Town. La patronne, une certaine Trish O’Connel, petit bout d’Irlandaise aux yeux emplis de tendresse et de malice, femme aimante et maternelle, capable de chanter intégralement l’hymne Irlandais en rotant après sa cinquième Guinness, vint me voir et me tendit discrètement une enveloppe scellée où je remarquai d’un vif coup d’œil mon nom écrit en lettres manuscrites. Intrigué je l’ouvris et y trouva une invitation pour le bal annuel du groupe City, organisé par Paul Smith en personne, le grand manitou du monde de la nuit au nord de la Grande-Bretagne. Malheureusement, je fus dans l’obligation de décliner cette invitation pour deux raisons. La première était que je n’avais pas les moyens financiers ne serait-ce que pour louer une veste et un kilt le temps d’une nuit. La deuxième était qu’il était hors de question que je porte une jupe le temps d’une seconde. Fort d’un dévouement sans borne pour ses propres employés et d’une tolérance humainement incomparable, Trish m’autorisa à ne porter qu’un traditionnel costume continental que son fiancé eut la bonté de me céder pour la soirée en me rappelant qu’à la moindre détérioration matérielle du vêtement, il me trancherait la tête pour ensuite venir chaque année uriner sur ma tombe en maudissant ma famille sur 14 générations.
Ce soir là, nous étions une vingtaine à prendre le bus pour Stirling, la grande et belle citée de William Wallace dont la statue fièrement érigée à l’entrée du monument en l’honneur du plus grand héro national après le monstre du Loch Ness, ressemble à s’y méprendre à l’acteur hollywoodien Mel Gibson. Après quelques heures de route dans un véhicule bondé d’anglo-saxons en jupes et moi-même, nous fûmes déposés à l’entrée d’un immense manoir perché sur une colline sans âge. Nous fûmes ensuite guidés par les gens de maison à l’intérieur de cette luxuriante demeure aux murs chargés d’histoire et d’une tapisserie à fleurs d’un extrême mauvais goût si typiquement britannique, au travers de dédales envoûtants, pour enfin nous installer à la table qui nous avait été réservée dans l’immense salle de bal déjà bondée d’hommes et de femmes guindés mais en jupes. Un excellent et copieux repas nous fut servi ainsi qu’une profusion excessive de vin et de bouteilles de bières de toutes les marques partenaires de la soirée, ce qui nous aida, mes compagnons et moi-même, à ne pas sombrer dans le plus profond ennui qu’aurait pu susciter le discours d’une heure trente de notre hôte en fin de repas.
Vint ensuite le moment tant attendu par tout écossais qui se respecte à la fin d’un délicieux repas, spécialement dans un lieu aussi magique et raffiné : la murge. Deux bars s’installèrent de chaque côté de la salle et notre hôte déclara d’un ton solennel : « mes amis, ce soir est une grande célébration de notre collaboration à tous, c’est moi qui régal ! »
Très vite la musique, les spotlights, le whisky coulant à flot, chacun perdit peu à peu le contrôle de ses actes, de ses paroles, de ses pensées et le temps se mit à danser et glisser sur nous tendis que nous oscillions et mélangions nos corps en émois au rythme hypnotique des chansons de Madonna et Kylie Minogue.
Quelque part dans la nuit, j’eu subitement un besoin pressant sans doute provoqué par l’envolée enthousiaste de mes risques de cirrhose et me dirigea en titubant, cravate sur l’épaule, vers les toilettes pour hommes. J’y trouvais une cuvette avenante et me soulagea en profitant béatement du simple plaisir de pisser après 3 pintes de blonde. Après que le colosse eut séché ses larmes, je m’en allais, non sans avoir furtivement passé mes mains sous un mince filet d’eau pendant quelques secondes, et croisais sur mon chemin un visage familier.
Je reconnu ce visage comme étant celui d’un compagnon de fortune travaillant dans le même établissement que moi, et dans un souci de franche camaraderie, lui adressa brièvement un fraternel clin d’œil. Bien sur, je ne devais pas sur le moment me rendre compte de l’impact et des conséquences d’un tel acte.
Quelques secondes, minutes ou heures plus tard, je me retrouvais assis seul sur une chaise, dangereusement à l’écart. L’homme des toilettes vint s’asseoir sur une chaise voisine et afficha son plus grand sourire. Il était corpulent, soigné, avec des yeux qui transpiraient le vice et des mollets poilus. « What are ya lookin’ for tanight? » me demanda t’il de manière casuelle. “What?” demandais-je bêtement, ayant parfaitement compris la question mais pas le sens. « What are ya lookin’ for here tanight ?! » répéta t’il. « Just drinking, having fun » eu-je le malheur de répondre sans avoir réellement conscience de l’interprétation que mon interlocuteur se faisait de mes propos. « Do ya like this? » me demanda t’il alors. « Do I like what ? » demandais-je en retour. “This!” insista t’il en soulevant son kilt pour me montrer son membre flasque et repoussant me prouvant ainsi que la rumeur sur les kilts étaient donc vraie et ô combien je pouvais me sentir solidaire des femmes qui trouvent certains hommes trop directs et offensant. « uh… no » lui dis-je, ce qu’il curieusement ne voulu pas croire immédiatement.
S’ensuivit alors l’une des plus embarrassantes conversations que j’eu à tenir.
- Have ya ever try it?
- No…
- Do ya want to?
- No thanks…
- Why not?
- Because I don’t like that…
- How do ya know you don’t if ya’ve never tried it?!
Son regard me transperça et le désir de cet homme à me fourrer son petit poilu dans mes tranchées les plus intimes se fit si oppressant que je m’agrippais alors au bras d’une demoiselle de ma connaissance qui passait fortuitement par là comme un skieur attrape salutairement la perche d’un remonte pente en plein vol. Elle m’emmena jusqu’à Trish qui me demanda sous peu quelle était la raison de mon teint cadavérique, de mon regard inquiet et de ma sudation faciale surabondante. Je lui confiais alors les raisons de ma panique apparente ce qui l’a fit odieusement rire. Malheureusement, elle m’annonçait que cet homme était un des chefs cuisiniers de notre restaurant ce qui déclencha une effroyable série de flash-back dans mon cerveau. Je me rappelais le croiser régulièrement en cuisine, le croiser dans les vestiaires, me retrouver à ses côtés lors de l’élection de Mister Gay Uk en boite de nuit (j’étais avec des amis et on avait des entrées gratuites… je ne pouvais pas savoir !).
Je passai le reste de la nuit à l’éviter. Ce devint mon leitmotiv quotidien durant les heures, les jours et les mois qui suivirent. J’en vins même à constamment envoyer un compagnon serveur en cuisine à ma place lorsque les circonstances l’exigeaient (cette raclure en tira même un malin plaisir pour me faire chanter et m’obliger à lui payer une pinte à chaque fois qu’il devait se rendre en cuisine à ma place). Mais je ne pouvais plus rien faire, la terreur s’était encrée à jamais dans mon esprit.
Et c’est ainsi que je suis devenu Homocuistoenkiltophobe.
Si vous aussi souffrez d’une phobie marginale et singulièrement inconnue ou que vous avez aussi une peur panique des chefs de cuisine homosexuels écossais, n’hésitez pas à m’en faire part.
La prochaine fois je vous parlerais de ma fratophilie* mon Escalophilie qui me pousse à offrir des branches de basilique aux gens qui refusent de se lier d’amitié avec moi.
*Un lecteur attentif m'aura fait remarquer à juste titre que la fratophilie signifie bien avoir des rapports sexuels avec son frère, tout en subissant une poussée de sécrétion salivaire sous l'effet du stress, ce qui n'est pas mon cas. Il s'agit bien d'Escalophilie ou basilicophilie. Les néophytes ne m'en tiendront pas rigueur mais je sais à quel point certains lecteurs sont tatillons.